Emily Atef
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Emily Atef

Interview Emily Atef, avril 2012, avant-première de Tue-moi ! à l’Omnia Rouen.

Quels cinéastes vous ont influencée ?
J’aime les films de Kassowitz, de Cassavetes…Un de mes films préférés du monde, c’est Une femme sous influence. Bon, mon cinéma est très différent de ça, mais ce travail sur le jeu d’acteur, ce mélange d’improvisation et de scenario, ces scènes très longues où il se passe tellement de choses, tous ces silences, j’adore. Concernant les cinéastes contemporains, je suis assez fan de Lars Von Trier, et en France, j’aime beaucoup Assayas. Pour les anciens, je suis très admirative de Bresson. Mais il y en a tellement !

Et le cinéma iranien ? Votre film, je ne sais pas pourquoi, m’a fait penser à Kiarostami.
C’est vrai ?

Oui, notamment à Où est la maison de mon ami ?, sans doute à cause du thème de l’errance, à cause aussi des paysages naturels.
Ah, j’adore le cinéma iranien ! Je suis moitié iranienne, évidemment…Ma démarche à moi est très différente mais j’adore la poésie du cinéma iranien, cette façon qu’ils ont de diriger les acteurs, d’une façon tellement naturaliste, cette façon aussi de se répéter dans les dialogues, dans les scènes. Par exemple un de mes films cultes est Sang et or de Jafar Panahi, ce cinéaste qui était en prison.

Je n’ai vu que Le cercle de Panahi.
Ah oui, formidable Le cercle ! Sang et or est plus récent, c’est un film extraordinaire sur toute la société iranienne, les très riches et les très pauvres. Le personnage principal est un un livreur de pizza, un personnage génial, parce qu’il va partout, dans toutes les maisons. Par ce biais, on voit la société iranienne, et ça, ça me touche vachement, parce que c’est tout ce que j’aime : c’est réaliste, ce sont des histoires réalistes, mais montrées avec une grande poésie.

Dans Tue-moi, il n’y a pas d’improvisation ?
Non, non, tout était vraiment écrit et répété.

Il y a une influence de la peinture, notamment avec la scène d’ouverture, où on voit Adele minuscule dans un paysage grandiose.
Oui bien sûr, il y a des références à Caspar David Friedrich et au romantisme allemand, avec ces grands espaces où sont placées de toutes petites personnes. J’ai utilisé le procédé du cinémascope pour produire cet effet grandiose, écrasant, lié au paysage. On a mis un peu de son pour accompagner les pas d’Adele, pour marquer sa présence.

Il n’y a pratiquement pas de musique dans Tue-moi, ce qui est très rare (peut-être d’ailleurs c’est aussi ce qui m’a fait penser à Kiarostami), et quand il y en a, on a l’impression qu’elle est vraiment en arrière fond.
Il y en a très peu, c’est vrai. Dans le taxi marseillais, on entend une musique magnifique composée par Vincent Segal, violloncelliste français. Sinon c’est mon frère, Cyril Atef qui a composé la musique du film. En fait, il y a de la musique quand Timo sort de la voiture de police, et aussi quand ils quittent Claudine  pendant la nuit et qu’ils sont, là encore, en voiture. Déjà dans mon précédent film, j’avais très peu utilisé la musique. A vrai dire, je pensais en avoir plus dans Tue-moi : je m’étais dit qu’avec ce road-movie, toute cette nature, il faudrait forcément en mettre ! Mais je n’y suis pas arrivée : ça devenait trop chargé et je me suis rendue compte qu’il fallait plutôt du silence. Je suis très sensible et je trouve que la musique de film, souvent, est bien trop présente. Dans ces films américains, par exemple, on ne peut même pas réfléchir, il n’y a pas un moment sans musique ! On ne s’en rend même plus compte, mais il y a toujours un violon qui joue derrière, qui nous dit : «Attention, dans quelques secondes, c’est de l’amour, dans quelques secondes, vous allez avoir peur !» Et moi, j’y deviens allergique parce que je n’entends plus que cette musique ! Je ne supporte pas ça

Quel rôle joue la nature, très présente dans la majeure partie du film ?  
Il y a la nature comme force antagoniste : on voulait qu’on sente que, si ce n’étaient pas les policiers qui les tuaient, ce pouvait être la nature à cause du manque d’eau, du manque de nourriture, de l’épuisement. On voulait aussi qu’il y ait une progression, un changement des paysages en partant de la forêt noire pour aller vers la lumière et vers la mer. Le paysage devait répondre au cœur, à l’âme d’Adele et de Timo, depuis la forêt noire jusqu’au soleil du bout de l’Europe, presque de l’Afrique. Et ce voyage qui se fait presque toujours à pied, j’avais vraiment envie de le montrer par la nature, qu’il soit marqué par les différents visages de la nature. Dans les grands espaces en France, ce qui était magnifique, c’est qu’on puisse sentir la petitesse des personnages, le vent, le mistral, lalutte face aux éléments.

a été tournée l’étape intermédiaire, quand Adèle tombe malade ?
C’était en région Paca, mais dans le scenario, ce devait être dans le massif central. Avec Esther, ma co-scénariste, on avait fait le voyage en voiture pour s’inspirer, depuis l’Allemagne en passant par le Jura, le massif central jusqu’à Marseille. J’avais adoré le Larzac, mais comme on avait l’argent de la région Paca, il fallait tourner là-bas. Ce sont finalement des repèreurs qui ont cherché et trouvé en région Paca un lieu qui soit très différent des calanques.

Timo, je trouve, a un côté plutôt maternel envers Adèle, contrairement à ce qui a été dit pendant le débat, où le public l’a vu comme une figure paternelle. Il l’oblige à boire, comme une mère qui trouve que son enfant ne mange pas assez, il exerce une protection bourrue, mais assez maternelle, à mon sens.
C’est intéressant, je n’ai jamais pensé à ça ! Ceci dit, la première fois qu’il la force à boire, de notre point de vue, c’était juste pour sa survie à lui : déjà, il a cette gamine qui lui prend la tête et si en plus elle ne boit pas, dans quelques heures, elle ne tiendra plus ! Donc c’est vital pour lui qu’elle boive. J’ai toujours pensé qu’il avait plutôt une dimension paternelle, mais, c’est juste aussi de dire qu’il est maternant. Et c’est vrai, je venais d’accoucher de ma fille.  Avant le tournage, ce n’était pas très pratique, j’avais dû faire des repérages avec un tout petit bébé ! Au début du tournage, elle avait quatre mois et toutes les deux heures, mon assistant criait : «Emily, pompe !» Et tout le monde savait que j’étais en train de pomper mon lait…Heureusement, l’équipe était très soudée et compréhensive. N’empêche que j’étais à fond là-dedans et les acteurs aussi, du coup, et peut-être que ça se sent dans le film !

Pourquoi le décor rural d’une ferme en forêt noire ?
J’ai passé mon adolescence dans le Jura et j’étais très malheureuse dans la campagne jurassienne, les pieds dans la bouse…Ces odeurs-là, je ne les oublierai jamais ! Ca, c’est vraiment extraordinaire ! En fin de compte, ces paysans sont fascinants, ce milieu est un milieu difficile, le travail est très dur. Il y a aussi le fait qu’en Allemagne, les paysans de la forêt noire ont cette réputation de ne pas du tout être des gens émotifs : là, si on a un seul ami et qu’on le perd, ce qui est le cas d’Adèle, c’est la solitude absolue. En plus Adèle n’a aucun talent pour le travail de paysanne. Il fallait que je la situe dans un milieu ou ses envies suicidaires soient crédibles. Sinon, c’est dingue de dire à quelqu’un : «Tue-moi !» Quand je «pitchais» l’histoire, les gens trouvaient quand même ça un peu fou…Donc il fallait faire voir que sa vie était horrible, sans pour autant avoir recours au cliché de parents violents qui l’auraient battue. C’est pour ça qu’à un moment, j’ai montré la mère sur le lit dans la chambre du frère, même si on ne comprend pas vraiment, je m’en suis rendue compte après, que c’était la chambre du frère.

On comprend en tout cas que c’est une pièce à part, puisque c’est le seul endroit où chacun des personnages se retrouve seul, à tour de rôle, comme pour s’y réfugier. On voit que c’est une pièce vide, mais qui provoque chez Adele et sa mère au moins une émotion particulière.  Bon, on vous appelle, je crois qu’on doit s’arrêter là, merci pour ce beau film et pour l’interview !

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