Films

In the air

Toute ma vie j’ai rêvé d’avoir, d’avoir….

Ach, les amis, la déplaisante chose que voilà ! In the air, film de Jason Reitman, se trouve soumis par la critique aux passions conjuguées de la synecdoque (le film, qui n’est jamais considéré comme une oeuvre en soi, devient la simple émanation d’un tout, le «détestable esprit Sundance») et de l’idéologie à trois boules (le personnage principal exerçant le boulot de licencieur, le critique en conclut, très logiquement, que le réalisateur est un apologue du darwinisme économique doublé d’un gros hypocrite qui se prétend de gauche (le petit enfoiré). C’est formidable : les cinéastes n’ont maintenant plus droit à la description, à la simple narration. Les cinéastes sont soumis à l’impératif catégorique de la prise de position politique, qui pour être légitime, ne saurait d’ailleurs qu’être d’obédience marxiste. Allez tiens, si on considérait qu’In the air était une entité en soi exprimant une certaine vision du monde ?

Ryan Bingham passe le plus clair de son temps dans les airs, loin des terrestres préoccupations familiales qui hantent ses semblables. Hermès moderne en altitude, il ne met pied à terre que pour transmettre aux mortels le message suivant, ridiculement identique d’une fois sur l’autre : madame, monsieur, votre emploi est supprimé, mais non, ne criez pas, car c’est une merveilleuse possibilité de nouveau départ que nous vous offrons là. On ne peut s’empêcher de penser que les dieux de la modernité en ont perdu, si c’est là tout ce qu’ils ont à raconter aux hommes….Quelles sont les fictions de la modernité, et, partant, de l’Amérique d’aujourd’hui ? Quelles histoires le peuple américain se raconte-t-il, maintenant que les Indiens sont morts, que la conquête de l’ouest et de la lune ont été victorieuses, et que l’hégémonie économique a fait son temps ? Ce sont les questions que pose le film, et les réponses, disons-le, ne sont pas jolies-jolies.

Mythologies

L’homme du peuple américain est plombé par la crise, ce qui, dans un système où tout se monnaye, compromet sa santé physique et mentale, son logis et l’avenir de ses enfants. Les joies de la consommation à crédit lui étant désormais moins accessibles, il va se tourner vers la seule entité disponible immédiatement et a priori non marchande, la chaleur que dégagent les autres humains, chaleur accaparante, pénible souvent, envahissante et castratrice, mais chaleur tout de même. La famille, les amis, voilà la nouvelle fiction qui tient chaud à un pays entier, lequel lentement doit s’adapter à la perte de son hégémonie et à la disparition des idées qui l’ont sous-tendue.

Que la famille soit une «valeur» comme on dit, rien de nouveau. Ce qui est intéressant c’est qu’In the air nous la montre passer de l’arrière-fond au premier plan, prenant de ce fait la place des fictions fondatrices de l’Amérique : la quête du territoire vierge conçu comme terre promise (je veux une maison, c’est ce que ce pays m’a promis, dit un des personnages du film, promoteur immobilier ruiné) et l’esprit d’entreprise fondé sur la liberté individuelle. Ryan, outre son vilain métier, anime en effet des séminaires de développement personnel où il martèle un seul crédo : pour être libre, il ne faut ni mémoire, ni attaches. Ce faisant, il reste fidèle sans le savoir à un mythe en train d’être dépassé, l’homme du rêve américain qui, faisant fi du passé, repart à zéro et construit un monde nouveau à son image. La métaphore qu’emploie Ryan pour exprimer cette idée est celle du sac à dos, qui, plein, empêche d’aller de l’avant, nous arrimant au passé mortifère. Les américains, qui ont eu tout intérêt historiquement à penser que du passé mieux valait faire table rase, apprécient ce genre de comparaison triviale, qui fait du mystère de l’âme humaine un simple contenant que l’on pourrait emplir ou vider à loisir. Evidemment, comme tout mythe, cette idée relève de l’illusion et Ryan va infirmer ses propres thèses en tombant amoureux et en se pensant prêt à la sédentarité.

Immobilis in mobile

Mais ce sacrifice du nomadisme n’en est pas vraiment un, car la promesse d’une terre vierge à conquérir est morte comme le montre le réalisateur en une seule et saisissante image : une carte des Etats-unis entièrement couverte de photos mettant en scène le même jeune couple, dont la photo agrandie et cartonnée est prise en photo devant chaque « monument » du pays. En un plan, tout est dit : l’espace n’existe plus parce que partout préside l’uniformité sinistre des bâtiments, des chaines de location automobile, des hôtels, des aéroports. L’aventure est morte et, comme les jeunes mariés du film qui restent immuablement figés puisque c’est leur photo qui est photographiée, on peut n’être jamais parti de chez soi et croire qu’on a été partout.

Les 10 millions de miles parcourus par Ryan n’ont pas de sens, parce que contrairement au voyage d’Ulysse, ils ne contiennent aucune mise à l’épreuve, aucun défi, aucune confrontation à des réalités inconnues et inquiétantes. Ces 10 millions de miles n’ont fait que réitérer sous différents climats les mêmes motifs rassurants, impersonnels et laids. Ryan en réalité n’a jamais voyagé. La seule expérience qu’il a vécue et qui le transforme, celle de la déception amoureuse, aurait pu se produire en bas de chez lui. Les promesses que recèlaient la Bible et l’Odyssée n’ont plus cours et l’individu qui ne peut plus rien découvrir perd forcément de sa substance. Il tourne en rond, comme Ryan qui sait par avance tout ce qu’il va trouver dans le monde franchisé et balisé qu’il hante.

Si Ryan est vieux, comme le dit sa jeune collègue, c’est surtout parce qu’il croit en des mythes démonétisés. Les autres personnages, eux, ont bien compris de quoi il retournait : la famille, voilà la nouvelle fiction (réaménagée au gout hédoniste du jour, comme le montre le surprenant personnage d’Alex, quasi alter-ego de Ryan) à laquelle il faut croire, le seul refuge en cas de coups du sort. Reitman constate qu’avec la réactualisation de cette croyance, une illusion est en train d’en remplacer une autre. La preuve : aucune des «familles»  du film n’existe pas vraiment, entre la sœur de Ryan fraîchement séparée, le fiancé qui refuse de passer devant l’autel, le petit ami de Nathalie qui rompt par texto et Alex dont le mari et les enfants ignorent évidemment la double vie. Comme apologie conservatrice de la valeur famille, franchement, on a vu mieux…La famille, ce cocon protecteur qui garantirait de l’abîme, est une image d’Epinal qui en tant que telle ne correspond jamais à ce qui se passe sur le terrain, entre mensonges, trahison et frustration. Mais cela n’a aucune importance car seule compte la mythologie, qui a du même coup évacué le mythe de l’individu. L’individu n’est plus libre, il n’est plus seul au sens positif. Détaché de l’ensemble familial, il souffre nécessairement, comme Ryan, entre maque affectif et désolante répétition. Oui, In the air est un film bien triste et bien désenchanté, à l’image du monde occidental, en somme

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