Séries

Il Miracolo

Misère de l’homme sans Dieu

L’Italie traversant une crise politique majeure, Fabrizio Pietromarchi, premier ministre, organise un référendum sur la sortie de l’Europe. A une semaine de l’échéance, l’armée piège un chef mafieux en plein choc post-traumatique : au-dessus de son corps prostré, une statue de la vierge pleure des larmes de sang. Voilà qui, non content de contrevenir absolument aux lois de la matière, pose un problème logistique : que faire de ce flux produit ex nihilo et de façon ininterrompue ? Par l’énigme physique qu’elle pose, par le mystère qu’elle exprime, par les effets concrets qu’elle induit, la statuette va mettre en évidence le dérèglement latent des personnages et de l’époque qui les a façonnés, dérèglement qui met en jeu les fondements mêmes de l’humanité occidentale.  

Hubris scientiste

Ainsi Sandra, jeune chercheuse confrontée au mystère, éludera-t-elle superbement la question de l’origine du phénomène miraculeux pour se consacrer à ses seuls effets technico-scientifiques : elle usera des larmes de la vierge comme thérapie sur sa mère mourante, en analysera l’ADN pour établir un portrait-robot, se mettra en quête du possesseur possible du dit ADN, avant de se rabattre sur le clonage. C’est fou, de nos jours, ce qu’on peut faire avec quelques gouttes de sang…Fou au sens propre du terme, car ne l’oublions pas, il s’agit rien moins que de fabriquer une vie humaine à partir d’humeurs possiblement divines suintant d’une vierge en plastique….Cet enfant à venir, produit de la technologie, Sandra l’appelle « l’homme nouveau », concept totalitaire s’il en est.  « Il y a des mystères qu’il faut respecter. », dit à Sandra un de ses collègues pour tenter de freiner son hubris démiurgique. « Je pense exactement le contraire. », rétorque-t-elle tranquillement. A ses yeux de scientifique moderne, la notion de sacré n’existe pas, car tout phénomène matériel, même inexplicable, n’est envisageable que sous l’angle de son exploitation possible. Sandra a sacrifié sa vie à une mère qui a choisi de léguer tous ses biens à la SPA. Nous tenons là ce qui sera le fil rouge d’Il miracolo, l’amour au sens chrétien du terme, c’est-à-dire comme valeur morale : l’oubli de soi au bénéfice de l’autre. Sandra, parce qu’elle n’a pas été aimée, envisagera le miracle-mystère qui lui est offert uniquement comme moyen en vue d’une fin, celle de sa toute-puissance, puisqu’elle enfantera non seulement sans homme, mais encore sans être humain, l’origine du sang qui la féconde étant en l’occurrence plus que problématique. Le mystère de la vie pour Sandra n’est qu’affaire de matière correctement manipulée. 

Il miracolo parlerait-il alors de « spiritualité », terme désignant toute aspiration à un « autre chose » indéfini, quelque part entre yoga, bouddhisme et décroissance ? La « spiritualité », c’est moderne en effet, contrairement au catholicisme, complètement en bout de course si on se fie à la vision qu’en donne le réalisateur : Marcello, prêtre, addict aux jeux et au porno, arnaque les vieilles et abuse des jeunes pour satisfaire ses démons. Quant à ses collègues, barbouzards, pédophiles, ou technocrates en soutane, ils ne valent guère mieux.  Pourtant, par ses tares mêmes, Marcello est un chrétien authentique : hanté par la chair, seul face au mutisme divin, ce prêtre désespéré figure la misère pascalienne de la condition humaine. Dans une très belle scène de passion, il sera temporairement sauvé par une femme, Clélia, qui le traînera agonisant sous une pluie battante. Le Christ du XXI ème siècle serait-il féminin ?

Le 21 ème siècle sera féminin ou ne sera pas.

Il miracolo en effet semble évoquer la modernité comme une ère de transition théologico-religieuse, la flamme de l’Esprit saint, si on se fie au récit qui nous est présenté, animant au premier chef les femmes. Pour preuve, alors que la série traite du catholicisme, le scénario n’évoque à aucun moment le Christ et fait de la Vierge son principe narratif. Autant les personnages masculins y sont faibles et dépassés, autant les femmes y sont puissantes. Ainsi Olga, qui semble connaître les rapports entre morts et vivants, entre vie éternelle et œuvre humaine, calme-t-elle les enfants par ses réponses, leur donnant les clés anthropologiques dont ils ont besoin : appartenir à l’humanité, c’est ritualiser l’enterrement des morts, c’est considérer que notre vie, si elle ne nous appartient pas, est néanmoins notre oeuvre, c’est transmettre et créer l’éternité par-delà notre présence sur terre, comme en témoigne ce chant initié par un moine au début du 20 ème siècle et perpétué depuis par d’autres. Italie, Pologne, Vatican : oui, il est bien question ici du catholicisme finissant, mais possiblement revivifié par des femmes. Cette féminisation implique un certain rapport au divin, plus concret, relevant davantage de l’humilité du bon sens que de l’extase mystique : les femmes portent les enfants et savent à ce titre que si la vie est un mystère, c’est un mystère qui ne saurait pourtant exister sans leur corps. Plus de séparation impossible et cruelle entre le ciel et la terre, entre l’esprit et la chair, puisque la vie éternelle existe par la perpétuation d’une œuvre, d’une génération à l’autre. Plus de résurrection miraculeuse, mais un passage constant de la vie à la mort, symbolisée ici par l’eau, élément féminin s’il en est : à la magnifique scène sous-marine de la mort de Marcello, correspond la noyade réelle et dramatique de Carlo, le fils de Pietromarchi. Carlo ne ressuscitera pas, mais sa mort entraînera le retour de sa mère à la vie, tout comme la mort inexpliquée mais violente d’une fillette entraînera la découverte de la statue de la vierge en larmes, vecteur d’une crise purificatrice.

Et un autre motif essentiel du christianisme, la souffrance, se trouve ainsi reconsidéré, car c’est par la souffrance justement que la purification est possible. Celui qui n’a pas souffert ne peut pas chanter, dit une des participantes au chant perpétuel, ce qui signifie aussi qu’il ne peut participer de l’éternité. Tous les personnages d’Il miracolo souffrent, même Nicolino, dont la déficience mentale garantit pourtant le sens de l’émerveillement : pas d’amour, pas d’éternité, pas de résurrection sans souffrance. Voilà qui est très loin de la « spiritualité » moderne, qui en déniant et refusant l’expérience du désespoir, se condamne à la vacuité, simple narcotique, aussi indéfini intellectuellement que nul sur le plan de l’existence.

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