Docus

Volem rien foutre al païs

Lou bourdiousou lou pas fréchou

Volem rien foutre al païs s’inscrit dans la lignée du documentaire à thèse, pour ne pas dire à charge. Son propos est simple : le travail, le salariat, le capital, c’est mal. Très mal. Alors, il nous faut cesser le travail. Alors, il nous faut aller vivre en communauté campagnarde. Et là faucher des champs, charrier du bois, vider les poubelles à caca, bricoler des pompes à eau et tuer des cochons.

Journaleux poil aux yeux

Pierre Carles avait pourtant avec Pas vu pas pris commis un documentaire bien malicieux sur les liens incestueux qu’entretiennent journalistes et hommes politiques français. C’était un sujet casse-gueule, en ce qu’il enfonçait une porte grande ouverte. Pourtant, le documentariste avait réussi à y dévoiler ses collègues, pointant les petits arrangements au quotidien qui constituent pour eux comme une seconde nature. Car l’exigence professionnelle du journalisssssse, qui n’en peut plus de fréquenter les grands de ce monde, consiste surtout à ne pas les fâcher pour conserver les prérogatives liées à l’exercice de son glorieux métier. Quant à Enfin pris, ce dézingage boum-boum-tchak-tchak-tchak de Daniel Schneiderman en pseudo-justicier nous avait également réjouis, tout comme le simulacre de psychanalyse mis en scène par le réalisateur pour régler ses comptes avec celui qui fut son maître. Plût au ciel néanmoins que Pierre Carles se fût livré au même exercice de désidéalisation (désacralisation ?) avec Pierre Bourdieu ! Car le réalisateur, toujours, est mu par l’idéologie. Ce qui, au sens premier du terme, fait de lui un militant, comme il s’en revendique d’ailleurs.

Késaco, le « système » ?

Et militant, ami lecteur, vient du latin militare, qui veut dire  « être soldat, faire son service militaire ». Las ! Y aurait-il si peu de différence entre le troufion aux ordres et le rebelle ? On apprendra aussi que le terme, d’origine guerrière, relève de la théologie, puisqu’il désigne « l’Église qui combat, les membres de la milice du Christ. » Foutredieu ! Il est vrai que le militant écolo-gauchiste, ne lui déplaise, partage bien plus qu’il ne croit avec une forme archaïque de christianisme : promesse d’apocalypse sur fond de réchauffement climatique, croyance en un autre monde (meilleur et à venir), manichéisme rigide, rhétorique fondée sur l’anathème et la culpabilisation.

Revenons donc à Volem…, film consacré aux épigones des Lafargue, Proud’hon, Fourrier, et Marx. Relevons d’abord que ces héritiers, contrairement à leur maîtres, n’écriront jamais une ligne. Et que si leur mot d’ordre consiste à rejeter  en vrac travail, salariat, et argent, il est probable qu’ils ne cracheraient pas sur un gros bifton glissé par mémé Simone dans la poche de leur treillis ou sur un loto gagnant. Que les choses soient claires : j’ai moi-même pour le travail une saine aversion, et ce, depuis mon plus jeune âge : passer le tiers de son temps à oeuvrer pour augmenter le chiffre des ventes chez Pampers constitue un sacerdoce dont le sens m’échappera toujours. Ceci dit, nul n’est tenu à rien, et chacun a le choix. A l’individu, une fois qu’il sait à quoi s’en tenir sur son propre désir, de se débrouiller avec le réel pour satisfaire ses besoins ET ses aspirations. Cela s’appelle le libre-arbitre.
On peut déplorer l’injustice du capitalisme, le profit pour le profit, l’exploitation, la destruction de l’environnement, le productivisme, etc. Certes. Pour autant, personne ne peut et ne doit penser à la place de l’individu. Les donneurs de leçons témoignent tous d’une même pathologie : l’incapacité à admettre la complexité du réel et, du même coup, la liberté du sujet. Une telle attitude porte plusieurs noms, selon le registre où elle s’inscrit : tentation totalitaire, défense psychotique, logique sectaire, autant de réalités qui ont à voir les unes avec les autres. Quant à vouloir éradiquer définitivement l’économie capitaliste, cette noble intention évoque surtout une vérité étonnamment oubliée : l’histoire de David et Goliath est une légende. Biblique qui plus est.

Veuch zarbi et stade anal

Les personnages du film suscitent un curieux malaise, dont l’origine se précise au fur et à mesure : ils sont interchangeables, dans leurs propos, leurs profils, leurs vêtures et leurs coupes de cheveux, tellement destructurées, tellement sursignifiantes. Comme ces ados unanimement piercés et tatoués, persuadés d’être uniques et originaux lorsqu’ils ne font que s’aligner sur une panoplie répertoriée dont ils ont en outre la bêtise de penser qu’elle garantit qualité d’âme et hauteur de vue. Les ados défraîchis de Volem… vivent en groupe, idéologisent en groupe, mangent en groupe, parlent en groupe de sujets qui, nous aussi, nous passionnaient bien, quand on avait 15 ans (voler dans un supermarché, est-ce faire le jeu du capitalisme ou au contraire participer à son éradication ? Hein ?). Il est assez farce de constater qu’ils sont bien plus proches qu’ils ne le croient des hommes en gris du capital, eux aussi placés sous le signe du troupeau. Si l’homme en gris court avec le « système », si l’homme aux cheveux longs et improbablement coupés prétend courir contre, il n’en reste pas moins que tous deux se réfèrent à cette même entité, nébuleuse et fourre-tout, dont finalement nul ne sait à quoi elle renvoie précisément. Concentrons-nous sur le contenu du discours. Par delà les discussions de fond sur de vraies questions morales (« voler une meuleuse une fois par an, est ce pire ou moins pire que de voler de la viande toutes les semaines ? »), par delà la volonté de nier le désir de l’autre pour mieux lui imposer sa propre conception du bonheur (« si il y a encore des gens qui travaillent, c’est qu’ils ne savent pas qu’on existe. »),  on remarquera avec intérêt que les propos se fédèrent tous autour d’un élément inattendu : le caca. L’excrément humain, déposé avec la foi qui convient sur l’autel des toilettes sèches, sauvera le monde de la pollution aquatique, de la lyonnaise des eaux, de l’immoralité, de l’exploitation et du….. capitalisme. Ben mon vieux ! Si le caca doit sauver le monde, on se demande bien à quoi sert le politique, qui concerne la vie de la cité. On se demande bien aussi à quoi sert la pensée.

Homo faber

Il n’est à ce titre pas anodin qu’un des interviewés revendique un retour au « vivant », à l’espèce, rejetant d’emblée toute dimension politique. Il énonce là, sans doute sans le savoir, le fond du problème : ce dont rêvent en réalité les utopistes du film, c’est d’une humanité réduite au bios, à la satisfaction des besoins. L’homme hors « système » est effectivement un vivant, un animal au sens strict du terme qui dénie la nature langagière et politique de l’homme définie par Aristote. Quant à l’homme de la communauté militante, même s’il cause beaucoup, il est avant tout un homo faber occupé à créer des outils. Un homme de la technique, donc, pas de la pensée pour la pensée.  
Revenir au vivant, vraiment, quel chouette projet. Pour avoir passé quelques vacances dans des endroits comparables à ceux montrés dans le film, je sais que le simple fait de se nourrir et de se livrer à de menues activités ménagères dans les conditions décrites remplit la journée. Le tout est de savoir si l’on veut consacrer son existence à gratter la terre pour se nourrir avec pour seule distraction le commentaire en groupe de la bonne parole altermondialiste. Certes, à tout prendre, cette vie vaut mieux que celle du rmiste urbain ghettoïsé dans son hlm avec vue sur parking. Pourtant, la glorification de la terre qui sous-tend le discours altermachin peut avoir de curieux relents (la terre ne ment pas, tout ça), tout comme l’idée selon laquelle la sécurité sociale et la retraite pourraient être avantageusement remplacées par la solidarité du groupe une fois atteint l’âge des couches Confiance. Les vieux des campagnes françaises d’avant-guerre, inutiles, comme tels mis à la niche et traités comme des chiens, ne sont plus là pour dire ce qu’il en était, de la solidarité du groupe quand on ne sert plus à rien dans un monde uniquement dévolu à satisfaire les besoins biologiques de l’homme.

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