Films

L’attentat

Esquives et faux-fuyants

Siham, palestinienne mariée à Amine, chirurgien arabe israëlien, se fait exploser dans un restaurant de Tel Aviv, tuant 17 personnes dont 11 enfants. Son mari va tenter de comprendre l’impensable en enquêtant sur le passé et l’entourage de feue son épouse. Ziad Doueiri, réalisateur de L’attentat a, comme il le dit lui-même, voulu éviter l’écueil du manichéisme. Noble intention en vérité, qui repose pourtant sur une grossière erreur de jugement : la volonté de nuancer à tout prix peut parfois porter un très vilain nom, celui d’ambiguïté.

Les choix scénaristiques du réalisateur, souvent déconcertants, renvoient sans doute à la combinaison contradictoire d’éléments extérieurs mais essentiels à l’existence du film : la production est en majorité qatarie, tandis que le lieu de tournage et les acteurs (juifs et arabes) sont israëliens. On peut à ce propos saluer le courage du réalisateur, qui en tant que libanais, savait pertinemment que le choix de tourner à Tel-Aviv lui vaudrait illico bannissement, boycott et menaces de la part de la ligue arabe et de son propre pays, dans lequel il est depuis indésirable. Franchir la frontière, c’est en effet reconnaître qu’Israël existe, réalité politiquement inadmissible pour les états de la région. Mais le courage de Doueiri ne va pas jusqu’au bout de sa logique. En acceptant le financement du Qatar, il savait tout aussi sûrement que certaines évidences se devraient d’être camouflées, notamment celle qui fait des attentats-suicides visant à tuer des civils une particularité propre à l’islam politique. Or, refuser de prendre en compte le lien entre religion musulmane et culte de la shahada voue d’emblée le film à un point aveugle rédhibitoire. Que peut-il  être dès lors, sinon une série de pirouettes toutes plus acrobatiques les unes que les autres, dont certaines prêteraient presqu’à rire (jaune bien sûr) ?  

Pirouettes, cacahuètes…

Pirouette numéro un : Siham, la terroriste, est…chrétienne. Pour justifier ce choix plus qu’improbable (les statistiques des attentats-suicides parlent d’elles-mêmes), le réalisateur dit avoir voulu montrer que la motivation terroriste en Israël était avant tout politique. Argument refusé, les attentats-suicides restant comme qui dirait une spécialité musulmane, du Liban à la Tchétchénie en passant par l’Irak et le 11 septembre. Par ailleurs, dissocier politique et religieux n’a pas grand sens dans la perspective musulmane sunnite qui dans son principe confond les deux, à l’instar d’ailleurs du judaïsme.
Pirouette numéro deux  (c’est là qu’on rigole, en se pinçant un peu quand même) : les fanatiques qui ont envoyé Siham se faire exploser seraient (tatata, roulement de tambour)….chrétiens. C’est bien connu, les prêtres aiment à transformer leurs ouailles en bombes, surtout dans le monde arabe où, comme personne ne l’ignore, les chrétiens vivent en paisible harmonie avec leurs frères sunnites et ont donc, par gratitude, grande envie de leur rendre service. Il semblerait que cette incongruité n’ait pas échappé au réalisateur, qui (et cela nous vaut une sublime pirouette number three) conclut la scène par un déni qui en confirme le grotesque : après une glorification du geste de Siham sainte et martyre, le prêtre dit à Amine n’avoir jamais rencontré sa femme. Mais alors, se dit-on ébaubi, si c’est pas les musulmans et si c’est pas non plus les chrétiens, mais alors, qui c’est donc qu’a tiré les ficelles de l’attentat-suicide ? Au vu de ses interviews, on subodore aisément la réponse du réalisateur : vouloir identifier les organisateurs de l’attentat est sans intérêt dans la mesure où le geste du martyr représente une énigme en soi, irréductible à toute explication psycho-socio-politique. Ceci s’appelle botter en touche et nous sommes bien contents, car nous avons là notre pirouette numéro quatre.

Vertiges de l’amour

Pour clore cette série d’invraisemblables sauts périlleux, admirons le dernier d’entre eux (mais non le moindre). Certes, se faire exploser en tuant des enfants constitue en soi une énigme. Mais après tout, l’amour lui-même n’est-il pas mystère ? Et la figure de l’autre itou (cours de philo terminale, chapitre «Autrui») ? De toute évidence, Ziad Doueiri a pensé résoudre l’impasse à laquelle il s’est lui-même enfermé en dépaysant l’histoire : du politico-religieux, il glisse l’air de rien vers une sorte de psychologisation existentielle, qui, finalement est beaucoup moins risquée. L’amour cette éternelle énigme, l’autre cet inconnu, voilà en effet deux vérités universelles qui présentent l’immense avantage de ne pas manger de pain.
Ainsi, le mystère que représente Siham est suggéré par la vision fugitive et fantasmée qu’en a son mari. Tout au long du film, elle ne sera qu’une silhouette évanescente et muette au doux sourire de Joconde. Ceci est d’une épouvantable malhonnêteté : le martyr est avant tout un corps qui se transforme en instrument de vengeance et de mort, réalisant son ressentiment en tuant les autres et en s’abolissant lui-même. Par ailleurs, le shahid tout motivé soit-il se retrouve face à sa propre mort, mort violente qu’il choisit et subit : comment penser que ceci n’entraîne aucun effet sur le plan psychologique ? Les quelques secondes qui montrent la peur de Siham à la fin du film ne constituent ni le traitement de son personnage, ni celui de sa situation.

Tout le film est marqué par cette logique proche de l’escroquerie qui vise à évacuer dès l’abord tout élément problématique. Le cheminement des personnages, les enjeux politico-religieux, la dimension tribale, les responsabilités des uns et des autres et la prise de position morale que cela aurait dû impliquer chez le réalisateur, tout cela est mis sous le tapis, comme si finalement, le chemin qui mène à l’attentat-suicide devait relever d’un pur accident, qui, comme le dit un des personnages du film, «pourrait arriver à n’importe qui.» De ce fait, certes, on peut considérer qu’il n’y a ni victimes, ni coupables….Et c’est bien là le summum de la putasserie.

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