Docus

Green days

Déprime à Téhéran

La Makhmalbaf film house a sa cadette, Hana. Hana est une enfant prodige du cinéma : comme elle ne manque pas de le rappeler lors de ses interventions, elle a tourné son premier long métrage à 17 ans. Voici donc Green days, son dernier film, qui évoque l’élection présidentielle iranienne de 2009 et ce qui s’en est ensuivi.

Gross symboles

Trois types d’images sont mêlées : les films de la répression des manifestants, tournés au téléphone portable, disponibles sur Youtube. Une « fiction » relatant la dépression d’Ava, jeune femme qui disparaît complètement derrière le symbole qu’elle porte, incarnant à elle seule l’ensemble de  la jeunesse iranienne, à bout de souffle et de nerfs, à la fois désabusée et emplie d’espoir. Des images semi documentaires enfin montrant Ava qui arpente les manifestations de soutien pré-électorales, interviewant des inconnus, montant dans leurs voitures pour discuter avec eux. Il est difficile de critiquer un film au si noble propos, qui parle de l’aspiration d’un peuple à la liberté et à la démocratie. Il est difficile d’avouer son irritation devant le pathos qu’entraîne chez une jeune fille l’émotion liée au destin de son pays, voix qui se brise et foulard vert ostensiblement arboré. Et pourtant, un sujet ne fait pas un film.
L’usage du symbole, qui avait plutôt bien réussi à Hana Makhmalbaf dans Le cahier, ne se dépare ici jamais d’une pénible lourdeur. Ava en comédienne mettant en scène la répression étatique m’a fait penser à une pièce de théâtre vue en Tunisie pendant la dictature Ben Ali, qui montrait tous les comédiens mains attachées dans le dos. Genre gross finesse.
Dans Green days, Ava cuve sa dépression en  faisant jouer des comédiennes la bouche fermée d’un scotch (gross finesse encore) et en nettoyant les escaliers de son immeuble, métaphore du ménage politique incombant aux jeunes Iraniens. Lourdingue surlignage, qui nous rappelle qu’Hana Makhmalbaf est, avant d’être réalisatrice, une adolescente révoltée, avec tous les effets que cela entraîne et notamment chez le spectateur une certaine fatigue face à des propos si attendus. Quant aux images de répression qui passent en  boucle dans le film, elles ne font rien pour briser la lassitude ressentie.
Faire un documentaire assumé sur ces journées particulières, voilà qui eût été plus intéressant que cette bien trop didactique docu-fiction. Le propos se trouve dévié, alourdi, par le personnage d’Ava qui sempiternellement, complaisamment, laisse couler ses larmes. Et les questions qu’elle pose à ceux qu’elle rencontre pendant les manifestations (toujours les mêmes « Pour qui votez-vous et pourquoi ») n’apportent rien au propos, voire l’affaiblissent.

Méthode roué

Je m’interroge donc : pourquoi la méthode Makhmalbaf trouve-t-elle ici ses limites ? Par méthode Makhmalbaf, j’entends un culot physique qui ne recule pas devant une forme de manipulation rouée ; dans Salaam cinéma, Mohsen, le père d’Hana, organise un casting géant qui se révèle après coup être l’objet et le sujet même du film. Au dit casting afflue une masse d’aspirants acteurs qui de ce fait se trouvent mis à sa disposition, ce qui lui permet entre autres de torturer perversement quelques jeunes filles soumises à d’impossibles questions. La toute-puissance du metteur en scène trouvait là une expression intéressante et entièrement assumée. Ce mélange de rouerie et de toupet produit par ailleurs dans Salaam cinéma un saisissant effet de vérité concernant l’état du pays et de ses habitants.
En Afghanistan où la famille Makhmalbaf s’est ensuite exilée, cette méthode appliquée à une population pour qui l’image n’existe absolument pas a donné des films mettant femmes et surtout enfants à l’honneur. Ceux-ci, ignorants de par leur culture qui proscrit l’image et de par leur jeune âge, sont très bien castés et très bien dirigés. Le décalage immense qui existe alors entre les acteurs et les réalisateurs sert précisément de levier au film, les enfants représentant une « matière » malléable exprimant des idées qu’ils ne sont pas en mesure d’appréhender par eux-mêmes.
Dans les deux cas, il existe donc un décalage, soit entre le réalisateur et ses jeunes acteurs afghans, soit entre la forme du film et son propos : montrer l’état de l’Iran en filmant un casting est une bien meilleure idée que de montrer l’Iran en filmant directement les Iraniens. Green days manque de ce décalage, la coïncidence entre la forme explicite du film et son sujet empêchant précisément que ce dernier soit traité. Hana n’est pas extérieure à ce qu’elle filme : c’est elle-même qu’elle met en scène. Pour autant, elle n’assume pas cette place, préférant faire intervenir le personnage d’Ava pour la représenter. Plutôt que d’introduire cette pseudo-distanciation, il eût peut-être mieux valu, quitte à n’avoir aucune distance avec son sujet, qu’elle en fît un parti-pis.

Jeune génie

Les « acteurs »de Green days (si on excepte Ava, personnage fantôme réduit à n’être que le porte-parole des états d’âme de la cinéaste), adultes et jouant leur propre rôle, ont une autonomie qui empêche la méthode Makhmalbaf de s’exercer vraiment. Par ailleurs, prétendre considérer la jeunesse iranienne dans son ensemble est un obstacle en soi  : le tout protéiforme que constituent les jeunes Iraniens ne se laisse pas appréhender comme le fait un individu, enfant qui plus est. Ne restent donc que les bonnes intentions du film, tellement visibles qu’elles le décrédibilisent. L’implication de Hana, l’absence de distance qu’elle refuse de revendiquer, la poussent à faire un film militant, autant dire un film qui tombe à plat. Le petit génie a bien 20 ans, c’est somme toute plutôt rassurant.

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