Regards

Adieu Philippine

Bye bye nouvelle vague ?

Les Câââhiers du cinéééémâââ sortaient en 1962 un numéro sur la nouvelle vague, dont la couverture fut illustrée d’une image tirée du film de Jacques Rozier, Adieu Philippine. Comme si le film à lui seul incarnait ce court moment de l’histoire du cinéma dont on nous rebat encore les oreilles cinquante ans après dans certains cercles au sein desquels, immuables et inamovibles, des idolâtres increvables perpétuent le culte de ce qui ne fut, somme toute, qu’une menue flatulence lâchée il y a bien longtemps dans l’océan du cinéma.

Dégonfler la baudruche auteuriste

Cette persistance a quelque chose d’étrange, eu égard à la modestie, à la futilité même des enjeux théoriques, techniques et cinématographiques défendus par les critiques des Cahiers dans les années 60. Car, quoi, finalement, qu’a apporté avec le recul la nouvelle vague ? Une bouffée d’air frais, certes. Une rupture avec le cinéma de papa, d’accord. Mais qu’en reste-t-il vraiment aujourd’hui hormis quelques trucs, quelques tics résumables en trois lignes et qui tournent méchamment à vide lorsqu’ils sont pour la n ième fois mis en oeuvre ? A l’instar des ready made de Duchamp qui font rire une fois et grincer des dents les suivantes, clos qu’ils sont sur leur propre absence de sens, sur un stérilisant cynisme à bon marché, le culte de la nouvelle vague repose, non sur sa puissance intrinsèque, mais sur une sorte de snobisme parisien complètement décalé. Comme si le cinéma n’avait rien produit de plus intéressant depuis, comme si l’ailleurs cinématographique n’existait pas. Comme si le Paris des années 60 était toujours d’actualité, qui plus est d’une actualité centrale. Une posture d’autiste en vérité pour nos amis auteuristes.
Parmi les trucs et les tics susmentionnés, nous citerons les tournages en extérieur, le choix d’acteurs non professionnels, l’improvisation, la transgression revendiquée des codes du cinéma (regards à  la caméra, hachures du montage, ruptures narratives) et patali et patalo. Tout ceci est mignon, frais et charmant quand on le voit chez le Godard des débuts. Tout ceci apparaît terriblement vide dès la deuxième vision ici ou ailleurs : soit, se dit-on, et alors ? Formulant ainsi plébéiennement un jugement portant en réalité sur l’absence de sens de ces maladresses érigées en mouvements délibérés, sur la vacuité de ces tics présentés comme de géniales trouvailles et dont on se demande bien au service de quels propos ils sont mis. Que signifient-elles à part la nature facétieuse ou l’arrogance du réalisateur ? Que se passera-t-il cinématographiquement une fois que tous les personnages auront fixé la caméra droit dans l’objectif ? La réponse est dans la question.
Ce ne sont pas tant les films en eux-mêmes qui déclenchent mon ire, que le culte surdimensionné et hystérique dont ils font l’objet, que les sordides excommunications pratiquées avec une suspecte allégresse par les indécrottables aficionados de la nouvelle vague. Mais je m’égare. Venons-en donc à Philippine, film à la fois charmant et irritant.

Adieu Philippine vaut à mon sens surtout pour son intérêt documentaire : il montre le Paris des années 60, les moeurs de jeunes de l’époque, et surtout, surtout, un parler parigot dont on a du mal à trouver trace aujourd’hui. Cet accent parisien populaire, cette gouaille merveilleuse n’existe plus et c’est bien dommage. On y voit des choses sympathiques, comme un long travelling qui suit les deux amies inséparables sur les boulevards, comme les scènes au club med qui nous enseignent bien des choses sur les trente glorieuses qui inaugurent l’ère du divertissement, ou la formidable scène de repas familial qui nous montre la France moyenne de l’époque, tout de même moins sinistre qu’aujourd’hui. Il y a enfin le charme magnétique d’Yveline Cery, qui joue le personnage de Liliane et dont ce fut le seul rôle de cinéma. En d’autres termes, le film produit un grand effet de nostalgie. L’histoire en elle-même est indigente (deux copines s’amourachent du même garçon) et le fait qu’elle se déroule pendant la guerre d’Algérie, où est appelé le héros, ne lui prête paradoxalement aucune profondeur politique : le sujet est mentionné et aussitôt évacué au profit de sempiternels marivaudages rythmés par les ricanements bêtifiants des donzelles. Hihihi. Le mélange des genres ne peut se faire ici, comme l’eau et l’huile ne peuvent former une tierce substance, et ce pour une raison évidente : le marivaudage sautillant et la gravité politique sont deux dimensions absolument hétérogènes. Voilà, en accord avec la légèreté d’Adieu Philippine, je n’ai rien de plus à dire.

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